Pourquoi une routine peut changer la donne et comment en établir une bonne.
Depuis le début de la crise, c’est comme si on avait été projetés dans une dimension parallèle. Confinés à la maison, les référents habituels ont foutu le camp. Les émotions et le stress sont nos compagnons quotidiens et faire l’épicerie, qui a toujours été pour moi une excursion amusante, s’est transformé en parcours miné en zone de guerre.
Et je suis la chanceuse, dans l’histoire. Tous, nous subissons les risques biologiques et psychologiques.
Tous les spécialistes, de façon générale mais surtout en ce moment, recommandent de suivre une routine.
Gage de productivité et de succès en temps normal, une routine semble être la bouée de sauvetage à adopter, pour le maintien d’une bonne santé psychologique.
Pour ma part, je suis assez sceptique de nature.
C’est pourquoi j’étais très méfiante quant aux bienfaits des rituels et des routines. Ces concepts sont normalement apprêtés à toutes les sauces, dépendamment de ce que la personne a à vendre…
Pour moi, routine = carcan et (fausses) restrictions.
Toutefois, avec les circonstances actuelles, j’ai décidé de me pencher plus sérieusement sur la question, pour y voir clair et qui sait, aider un peu plus de gens à s’outiller pour passer à travers ?
Donc, qu’est-ce que la routine et en quoi est-ce un outil pour une meilleure santé psychologique ?
Pour les rituels, j’y reviendrai dans un second article, pour plus de clarté.
Regardons ce que le dictionnaire Larousse a à dire :
Qu’est-ce qu’une routine ?
Habitude mécanique, irréfléchie, et qui résulte d'une succession d'actions répétées sans cesse (Travail qui devient une routine).
Ensemble de ces actions, de ces gestes faits mécaniquement (La routine quotidienne).
Ça a l’air ennuyant ainsi, hein …?
Puis, j’ai commencé à lire davantage sur le sujet, notamment du côté des neurosciences et de l’ergonomie cognitive, mais c’est ma conversation avec Marie-Anne Bougie, psychothérapeute, qui a changé la donne.
De plus, un échange avec la communauté des premiers répondants en santé mentale m’a apporté d’autres lumières. Cette communauté dont je fais partie a été mise sur pied par My-Linh Diep et regroupe les personnes ayant leur certification de Premiers Soins en santé mentale.
Voyons voir !
Routine = facile ?
Les chemins du cerveau
Partez en forêt avec l’intention de tracer un nouveau chemin. Vous devrez évaluer où passer, revenir, recommencer, aplanir les herbes, les broussailles… il aurait été plus simple de prendre le sentier tracé, non ?
Dans le cerveau, c’est pareil. Partons du principe que prendre une décision est coûteuse en termes de ressources cognitives. L’apprentissage crée de nouveaux chemins de neurones dans le cerveau. À force d’emprunter toujours le même chemin, moins de ressources cognitives sont nécessaires (on prend le sentier déjà tapé). Cela libère le cerveau et les ressources peuvent être allouées à d’autres processus.
C’est pour ça que les préjugés sont utiles. On n’a alors pas à penser. On peut juste…sauter aux conclusions (et certains en abusent… poudoumpoum tchi !)
Bref, suivre une routine permet d’éliminer la prise de décisions, dans une certaine mesure. On n’a plus à constamment évaluer le pour et le contre de chaque geste. La décision a déjà été prise.
Une des tendances issues du mouvement minimaliste et adoptée par certains «grands productifs» est le port d’un uniforme, comme Mark Zuckerberg qui ne porte que t-shirt gris et jeans foncés. Mathilda Khal, directrice artistique, explique aussi pourquoi elle a fait ce choix.
Routine = régularité
Au niveau du sommeil, le fait d’avoir une régularité dans les heures de lever et de coucher favorise une meilleure qualité de sommeil.
La routine permet également de maintenir de bonnes habitudes de vie et de placer «officiellement» à l’horaire des éléments qu’on met trop rapidement de côté dans le brouhaha de la vie quotidienne, comme des pauses, des soins personnels ou des activités physiques.
Car c’est dans la régularité que se trouvent les résultats, et non dans les solutions miracles.
C’est notre rapport au temps qui est mis en cause. Donc routine = faire de la place.
Routine = sécurité
Marie-Anne Bougie définit la routine ainsi : «Une routine est un horaire établi selon les besoins à combler». Une routine donne un cadre, une sécurité. Nous ne sommes plus en mode hypervigilant. La journée devient structurée, prévisible.
Pour les enfants, c’est quelque chose qu’on nous répète ad nauseam : avoir une routine sécurise les enfants et permet de leur donner une normalité. Ça les rend également autonomes, car ils savent ce qui s’en vient.
Maintenant que nous en savons plus sur les bénéfices d’une routine, une question demeure: comment créer une bonne routine ?
« C’est quoi, une bonne routine ? »
Elle répond à nos besoins.
Un exemple simple ? Je mange le matin. Sinon, je ne fonctionne pas. Ça me prend ça pour maintenir mon niveau d’énergie. D’ailleurs, pour établir notre bonne routine à nous, il est essentiel de réfléchir à nos propres besoins et suivre nos niveaux d’énergie. Pour ce faire, Marie-Anne recommande de s’arrêter à nos émotions et à les examiner. Des émotions comme la tristesse, la colère, la frustration révèlent, selon les circonstances, des besoins non comblés. Un peu d’introspection est donc nécessaire.
Elle est personnelle. De ce fait, elle fait du sens pour nous.
Voilà pourquoi les routines matinales suggérées du type «méditation 1h - écrire dans mon journal 30 min - soins de beauté 30 min» ne font pas de sens pour moi… avec mes 3 tornades, je n’ai absolument pas ce temps-là. Par contre, le soir, c’est plus tranquille, donc je sais que je peux prendre plus de temps pour moi.
Elle est fonctionnelle et adaptable, mais avec des balises claires.
Les balises structurent et donnent des repères. Elles créent un début et une fin à une journée. En ce moment, ce peut être des plages horaires où on alterne des moments au travail et des moments en famille (ou du temps personnel, c’est selon), dans le but de créer de la régularité et alterner les périodes de récupération et d’action.
« Quels sont les pièges à éviter ? »
Les routines trop rigides.
Les routines qui ne sont pas personnalisées et qui ne tiennent pas compte du contexte (exemple : en ce moment, le gym, c’est un no-go, en raison du confinement)
Les routines qui ne donnent pas de place à l’imprévu, à la créativité, à l’espace mental ou même, à l’erreur. Sinon, on perd son habileté à utiliser la débrouillardise. On coupe les ailes à la résilience. Également, ça se peut qu’on fasse fausse route et qu’on doive adapter. C’est possible que se lever à 5h le matin pour travailler ne soit pas faisable, finalement. On expérimente !
Procrastiner et perdre de vue nos balises. Ce sont nos remparts.
« Comment un gestionnaire peut favoriser l’adoption d’une routine chez ses employés ? »
Comme nous avons vu, il y a des gains importants au niveau de la productivité ainsi que de la santé, autant physique que psychologique.
Quelles sont les actions qu’un gestionnaire peut poser ?
D’abord et avant tout, il faut comme équipe, département, entreprise connaitre ses propres besoins (opérationnels, financiers, humains, etc.) pour avoir des attentes réalistes et claires. On peut ainsi établir un équilibre entre ses propres besoins et ceux de ses employés.
Ensuite, connaitre ses employés plus personnellement et leurs besoins permet, en des temps plus normaux, de favoriser l’implantation d’une routine saine et adaptée à tous, sans que ça soit constamment la pagaille.
En cette réalité plus mouvementée, il est encore plus indiqué de mieux connaitre ses employés et de créer/ maintenir un lien proche. Le gestionnaire peut ainsi demeurer à l’écoute et inciter ses employés à adopter de petites activités favorisant leur mieux-être, telle que celles mentionnées dans le Guide d’auto-soins de la Commission de la Santé mentale du Canada. Ces petites activités, jointes à la routine, font du bien et incitent à l’action. De ce fait, ça permet d’agir sur le stress en redonnant du contrôle et du pouvoir d’agir.
Car c’est la régularité qui donne des résultats.
Et ça permet d’alterner période d’action et période de récupération. On a en bien besoin.
Le gestionnaire doit aussi faire preuve de bienveillance et donner l’exemple: il faut trouver une balance entre agilité et stabilité, mais ne pas perdre de vue ses propres balises.
Et pour finir, ne pas hésiter à inciter ses employés à aller chercher de l’aide spécifique au besoin. Avez-vous un PAE ? Des ressources additionnelles ? Ne prenez rien pour acquis et (re)donner l’information à vos employés.
Conclusion : routine = action
Donc, envolé le scepticisme, maintenant.
Et j’ajouterai que réfléchir à une routine est un bon moyen pour réfléchir à nos besoins. Se ramener à l’essentiel et à nos émotions.
Vous avez désormais tout en main pour mieux comprendre et mieux créer votre propre routine.
Et je laisse la conclusion à Claudia Baillargeon, coach, entraineure virtuelle et kinésiologue :
Comme y’a rien de sûr en ce moment, avoir une routine nous donne un «point d’ancrage» et rassure qu’au moins, on peut la contrôler et savoir à quoi s’attendre. Se créer une routine permet aussi de prioriser nos tâches, être plus productif et ne pas remettre à demain toutes sortes de choses qu’on finit par ne pas faire.
Une routine, c’est un rendez-vous avec soi-même, qui rassure et structure.
On maîtrise le temps, au lieu de le subir.
Mon nom est Marie-Eve Champagne, je suis spécialiste en Santé Sécurité Mieux-Être au travail et j'aide les gens à mieux travailler depuis près de 14 ans.
Références et lectures pour en savoir plus :
Pour accéder au Guide d’auto-soins de la Commission de la santé mentale du Canada, cliquez ici.
GROSS, Jessica, «6 ideas from creative thinkers to shake up your work routine», Blogue de Ted Talk, 13 novembre 2014, Page URL: https://ideas.ted.com/6-ideas-from-creative-thinkers-to-shake-up-your-work-routine/
SPECTOR, Nicole, «How to train your brain to accept change, according to neuroscience», NBC, 12 novembre 2018, Page URL: https://www.nbcnews.com/better/health/how-train-your-brain-accept-change-according-neuroscience-ncna934011
Les 5 phases psychologiques de la quarantaine: https://seasonly.fr/blogs/news/les-5-phases-psychologiques-de-la-quarantaine?fbclid=IwAR2t-ngiNa5c1CFA-uk_k7dpfZr3UbKnO8VoBk3-6uWLz673prJ8W64BSYk
Gagnon, Éloi, La neuroplasticité au service de l’apprentissage», page consultée le 2 avril 2020, Page URL: «https://aqep.org/wp-content/uploads/2019/08/La-neuroplasticite-au-service-de-lapprentissage.pdf