Santé psychologique - On a besoin d'histoires: voici pourquoi

Décidément, il ne fait pas bon être un humain avec des neurones, par les temps qui courent.

Les nouvelles concernant la santé mentale, plus particulièrement la détresse psychologique, se sont multipliées récemment dans les médias. La magnifique série de La Presse sur la santé psychologique des entrepreneurs a ouvert une fenêtre sur un monde méconnu.

On y apprenait que 71,5 % des répondants (300 entrepreneurs participant à l’étude) étaient en « détresse psychologique élevée ».

Mais il n’y avait pas que les entrepreneurs. On a également parlé des hommes, des étudiants, et des jeunes familles.

43 % des hommes montréalais âgés de 25 à 34 ans souffrent de détresse psychologique.

Les étudiants font également piètre figure : 1/5 personne aux études universitaires a des symptômes dépressifs qui devraient être traités. Trois fois plus d’étudiants ont des idées suicidaires que la population générale et deux fois plus ont fait des tentatives de suicides.

Les jeunes familles ne sont pas en reste. Cet article mentionnait que 39 % des mères d’enfants de 6 mois à 5 ans vivent un « niveau élevé de stress lié à la conciliation des obligations familiales et extrafamiliales ».

Il s’agit d’une hausse de 5 % depuis 2012.

On y indique aussi que les mères sont près de 2 fois plus nombreuses à souffrir de stress que les pères (23 %). 

D’abord, partons d’un point commun : c’est quoi la détresse psychologique ?

Il s’agit d’un :

« État subjectif désagréable qui ne réfère pas à une pathologie spécifique, mais qui se définit plutôt comme un ensemble de symptômes s’apparentant tantôt à l’épuisement professionnel, tantôt à la dépression, allant de l’état de fatigue à l’irritabilité, en passant par les troubles anxieux, troubles du sommeil, problèmes de concentration, etc.

Cela ne signifie pas nécessairement que la personne est malade.

La détresse réfère à un signal d’alarme précoce qui émerge lorsqu’une personne a de la difficulté à s’ajuster aux stresseurs auxquels elle est exposée. », tel que défini dans l'étude réalisée en 2019 par le Barreau sur la santé psychologique des avocats.tes québécois.es.

La détresse, un signal d'alarme

La détresse, un signal d'alarme

Source: Sarah Richter Art - Pixabay

Bon, retenons ça : signal d’alarme. Ensuite ?

Si vous avez déjà souffert d’un trouble musculo-squelettique,comme une épicondylite ou un tunnel carpien, vous savez que ça commence par élancer. Ensuite, l’inconfort dure bien après le travail. L’inconfort devient une douleur constante qui nous suit. Bientôt, les Tylenols ne changeront plus rien. Direction le bureau du médecin, mais c’est trop tard. La pathologie est installée, le chemin pour en revenir sera long.

Il aura fallu agir quand il s’agissait d’une douleur.

C’est la même chose avec la santé psychologique. La douleur, c’est la détresse psychologique.

Il faut agir au stade précoce, pour traiter rapidement et agir en prévention sur les stresseurs, avant de tourbillonner vers le bas.

Je ne prétends pas avoir la réponse unique à tous les maux. La santé psychologique, c'est complexe. Le stress est le mal de notre siècle et il faudra faire avec. Mais je vois un puissant dénominateur commun : on en parle pas assez.

Alors, s’il faut en parler, faisons-le ! C’est simple?

Pas tout à fait. C’est là que la stigmatisation nous barre la route.

La quoi ? La stigmatisation : la mise à l’écart d’une personne pour ses différences, considérées comme contraires aux normes de la société.

Ces tabous créent de la peur (et en rajoutent sur le tas).

Qu’est-ce qui va arriver si j’en parle ? Si je dis que je ne vais pas bien ? Je convoite cette promotion, ce contrat…

Est-ce que mes banquiers vont encore me faire confiance ?

Suis-je une mauvaise mère si je dis que je trouve ça trop dur ? Suis-je une mauvaise employée si je refuse cette tâche qui me retiendra le soir au travail ?

Et le plus triste, c’est que en effet, si vous refusez une promotion, ça va vous nuire, comme le relate Olivier Schmouker de Les Affaires dans cet article.

Un sondage de Santé Canada indiquait que 54% des gens ayant un trouble mental (anxieux, humeur ou dépendance à une substance) ont honte de leur problème de santé mentale.

Et 54% disent avoir subi de la discrimination à cause de ce problème.

On a besoin de soutien social

Qu’est-ce que le soutien social ? Dans la vie, nos familles et nos amis. Au travail, le gestionnaire et les collègues. L’isolement est un facteur de risque. L’inverse, le soutien social, est un facteur de protection. 

Extrait de l'article sur l'entreprenariat : « Les facteurs de stress liés à la gestion d’une entreprise (problèmes de finances, de vente, d’administration, avec les employés et les fournisseurs) peuvent prédire l’épuisement professionnel, notamment le sentiment de solitude ressenti par les entrepreneurs ».

On se cache, on reste forts, invincibles. La stigmatisation accentue l’isolement.

On a besoin d’histoires

On a des histoires de suicides, de drames familiaux, de gens qui vont mal.

Mais on a besoin de gens qui disent :

« Je fais de l’anxiété chronique. Ma semaine est difficile. Ça ira mieux bientôt. J’ai demandé de l’aide et ça marche. »

« Je suis en dépression. Je vais prendre soin de moi un temps, je reviens. J’ai du soutien de mon équipe de travail. »

« Cette pauvre Sylvie de la comptabilité feel un mauvais coton de ce temps-là. La période des impôts est difficile cette année. Que crois-tu qui l’aiderait ? »

« Aujourd’hui, je prends une pause de tout. Je me connais, j’ai besoin d’un temps d’arrêt quand je me sens comme ça. »

« Je suis bipolaire, j’ai vécu l’enfer, mais je vais mieux. »

« J’ai fait un burn-out. J’aurais dû apprendre à dire non avant. Ça m'aide. »

Dire pour faire

On a besoin de nommer les troubles, nommer les signaux d’alarmes. Nommer des moyens d’agir en prévention. Nommer les traitements qui fonctionnent.

L’étude sur la détresse psychologique des hommes mentionnait ceci :

« les hommes ont davantage de barrières à la consultation, l’une d’entre elles étant un certain scepticisme face à l’utilité de la démarche. Ce n’est donc pas une surprise si en général les hommes souhaitent qu’une intervention psychosociale leur offre des outils pour sortir de la détresse, et ce, dans un temps relativement court. Ils sont ainsi davantage motivés par la recherche de solutions que de la cause de la détresse. »

On a besoin d’histoires. Pour voir que les vrais héros, ce ne sont pas toujours ceux qui sont sains (en apparence) mais ceux qui combattent leurs démons intérieurs, jour après jour, et continuent d’avancer.

Pour combattre la stigmatisation et les préjugés.

Pour voir qu’on peut tomber, se relever et qu’il n’y a pas de honte à mettre le genou à terre.

Pour comprendre que la maladie mentale n’est pas une excuse, mais un fait avec lequel il va falloir composer de plus en plus avec les années à venir.

Pour entendre des histoires de dérapes. Mais aussi des histoires qui finissent bien.

On parle de gens qui tombent, mais pas assez de gens qui se relèvent.

On parle des problèmes, mais rarement des solutions.

On parle de responsabilités individuelles, mais pas d’actions collectives.

On a besoin d’histoires d’entreprises qui ont implanté des mesures d’aides, qui ont supporté leurs employés, qui ont agi sur les risques psycho-sociaux.

On a besoin d’entendre parler d’accommodement, de pairs aidants, de sentinelles, de mesures flexibles, de retour au travail durable, de conciliation travail-famille.

D’entreprises qui ont géré les changements de façon humaine.

La santé psychologique, ce n’est pas l’absence de troubles mentaux. C’est le fait de composer avec ces troubles, de rester à flots et de continuer à contribuer.

Étant une spécialiste du travail, bien sûr que mon regard se porte sur ce qu’une organisation peut faire. Parce que les drames à échelle humaine ont aussi des répercussions sur le travail.

Qu’est-ce qui stresse vos employés?

Le travail ? Les conditions de travail ? La vie hors travail ?Tous ?

Qui sont vos personnes plus à risques ? Quels sont leurs stresseurs ? Que peut-on faire pour les réduire ? Chaque personne possède la recette de son stress et est atteinte par les stresseurs de façon différente.

Alors là, seulement, on pourra agir sur les causes et non plus juste sur les symptômes. Il faut gérer les stresseurs, pour mieux gérer le stress.

Parce que comme disait l’autre jour mon amie Yarledis Coneo: « l’entreprise ne fait pas toujours partie du problème, mais elle fait toujours partie de la solution » .

Et vous ? Quelles sont les solutions mises en place dans votre organisation ?


Mon nom est Marie-Eve Champagne, je suis spécialiste en Santé Sécurité Mieux-Être au travail et j'aide les gens à mieux travailler depuis près de 14 ans.


Références:

ST-ARNAUD, Pierre, Un homme montréalais sur 4 serait en détresse psychologique, La Presse, publié le 14 novembre 2019, URL: https://www.lapresse.ca/actualites/sante/201911/14/01-5249686-un-homme-montrealais-sur-quatre-serait-en-detresse-psychologique.php

DUBÉ, Isabelle, Audacieux, visionnaires et tourmentés, La Presse, publié le 18 novembre 2019, URL: https://www.lapresse.ca/affaires/201911/17/01-5250107-la-face-cachee-de-lentrepreneuriat-audacieux-visionnaires-et-tourmentes.php

LA PRESSE CANADIENNE, Beaucoup de détresse psychologique chez les études québécois selon une étude, Publié le 19 novembre 2019 dans Le Devoir, URL: https://www.ledevoir.com/societe/sante/567329/beaucoup-de-detresse-psychologique-chez-les-etudiants-quebecois-selon-une-etude

DUCHAINE, Gabrielle, De plus en plus de jeunes mères vivent un stress élevé, La Presse, 19 novembre 2019, URL: https://www.lapresse.ca/actualites/201911/18/01-5250282-etude-de-plus-en-plus-de-jeunes-meres-vivent-un-stress-eleve-.php

Cadieux, N., Cadieux, J., Youssef, N., Gingues, M. et Godbout, S.-M. (2019). Rapport de recherche : Étude des déterminants de la santé psychologique au travail chez les avocat(e)s québécois(es), Phase II - 2017-2019. Rapport de recherche, Université de Sherbrooke, École de gestion, 181 pages.

SCHMOUKER, Olivier, La tendance émergente: dire non à une promotion, Les Affaires, 18 novembre 2019, URL: https://www.lesaffaires.com/blogues/olivier-schmouker/la-tendance-emergente-dire-non-a-une-promotion/614211

Gouvernement du Canada. (2006), Aspect humain de la santé mentale et de la maladie mentale au Canada. Ottawa (On) : Ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux du Canada, p.41