La faiblesse d'être harcelée

J’ai déjà été harcelée psychologiquement. Pendant des mois. Sauf que je ne savais pas que c’était du harcèlement.

Et la personne qui le faisait ne le savait pas non plus.

J’étais juste convaincue que j’étais une pauvre conne.

Reproches après reproches, regards noirs après regards noirs, soupirs exaspérés après soupirs exaspérés, mises de côté après mises de côté: on m’avait convaincue que je n’étais pas assez bonne, assez compétente. C’est ça, être victime de harcèlement. C’est subir la torture et être convaincue qu’on l’a méritée. C’est pernicieux à ce point. J’ai perdu pied. Puis je suis tombée sur une pente glissante.

Je me suis mise à douter de moi-même, de mes compétences. Je me remettais en cause sans arrêt. Et c’était épuisant. J’avais peur. Je ne savais pas laquelle de mes erreurs m’exposerait à une nouvelle salve d’insultes.

J’ai même pensé changer de carrière.

Est-ce que j’étais productive durant cette période ? Quand même.

Est-ce que j’étais créative ? Pas du tout, je crevais de peur.

Est-ce que j’étais distraite ? Oui. Pour le cerveau, l’info pertinente, c’est toujours l’info menaçante, donc mon focus était sur ce qui s’était passé ou ce qui pouvait arriver.

Est-ce que j’ai fait des erreurs ? Certainement.

Est-ce que j’ai perdu du temps à aller pleurer en cachette ? Oui.

Est-ce que j’aurais pu me défendre ? Je l’ai fait. Ça a été pire après. À un moment, tu courbes l’échine, en espérant que ça va être moins souffrant de cette façon.

C’est comme le supplice de la goutte, celui où on laisse tomber goutte d’eau sur goutte d’eau sur le front de la victime, jusqu’à ce qu’elle sombre dans la folie.


Vous n’êtes pas sûr si c’est du harcèlement ?

Si vous :

  • Dormez mal la nuit en pensant à votre journée du lendemain
  • Pleurez à l’occasion
  • Commencez à douter de vos compétences
  • Vous sentez émotif, craintif, diminué, incompétent, désespéré à chaque contact avec la personne

Votre relation avec la personne mérite d’être évaluée. Allez chercher un œil extérieur compétent en la matière.

Si ma description vous fait penser à un(e) collègue, ouvrez le dialogue avec cette personne.


Des perceptions erronées

Être harcelé, c’est se faire emmurer dans sa tête et être persuadé que c’est notre faute.

Parce qu’on ne sait pas toujours que ça en est, dans l’instant présent. C’est après qu’on réalise.

Ce n’est que bien plus tard, alors qu’on met les morceaux ensembles, que la vue d’ensemble apparaît.

Le harceleur a rarement la perception qu’il fait du harcèlement : il peut sentir par moments que son comportement est mal mais il est convaincu qu’il agit pour le mieux. Et c’est tout le problème.

Le bourreau tout autant que la victime sont convaincues que la victime a tort.

Si quelqu’un avait pu me prendre par la main, me dire ce que c’était, ça m’aurait fait faire la moitié du chemin.

Si quelqu’un avait parlé de harcèlement, de civilité à mon harceleur, il aurait peut-être pris conscience de son comportement problématique et aurait cessé.

Le harcèlement, c’est subtil. Ceux qui en ont subi le savent. Pour ceux qui n’en ont jamais subit, ce n’est pas nécessairement ce que vous pensez.

Quand on dit «harcèlement psychologique», on pense à quelqu’un qui hurle des injures ou susurre des paroles rabaissantes. Et que la victime tolère tout ça parce qu’elle est faible ou qu’elle est trop peureuse pour s’affirmer.

Quand on parle de «harcèlement psychologique à caractère sexuel», on visualise immédiatement un geste déplacé d’un gestionnaire aviné sur sa secrétaire lors d’un party bien arrosé. Ou alors une employée avec un décolleté plongeant qui va geindre que tout le monde la regarde comme un steak.

Or, c’est plus que ça. Quand on subit du harcèlement, on est convaincu que nous sommes fautifs. Nous sommes le problème. Même chose pour le harceleur. Lui, il croit qu’il emploie la manière forte pour «replacer la personne» ou «parvenir à ses fins». Et il croit que c’est légitime.

Ou alors, s’il n’y a pas de lien d’autorité, ça peut être un collègue «qui n’est pas capable de sentir la personne» et le lui fait savoir, de milles manières malsaines.

Plusieurs dynamiques peuvent s’installer. Mais avec un résultat similaire : la personne harcelée voit sa santé psychologique être mise à mal.

Ce ne sont pas les gestes en tant que tels qui comptent, mais les effets sur la personne qui les subi.

Comment engager la discussion alors, pour faire savoir que quelque chose cloche ? On se rappelle que la personne est dans notre tête et nous a convaincu qu’on était un imbécile, un incapable. J’ai tort, il a raison.

Quelle discussion est possible dans ce contexte ? Réponse: sans aide, aucune.

Pourquoi je vous raconte tout ça ?

Pour vous faire prendre conscience à quel point le harcèlement est fait de choses minuscules mais polluantes, pour la tête, les relations humaines, le milieu de travail. Pour vous faire prendre conscience comment ça se passe dans la tête d’une personne harcelée.

Vous n’imaginez pas à quel point il est difficile de parler.

Il y a trois morales à mon histoire :

  • Absolument tout, dans l’entreprise, doit faciliter la discussion entre les personnes en cas de mésentente, de conflits ou de harcèlement suspecté.

  • Pour prévenir le harcèlement le plus possible, il faut absolument miser sur l’éducation des personnes et le dialogue ouvert.

  • Le harcèlement laisse des séquelles sur la vie de la personne : son estime, sa dignité, sa perception d’elle-même et de ses compétences sont ébranlés et sa santé psychologique est fragilisée. Des taches d’encre qui ne partent pas au lavage. Moi, j’ai eu besoin de thérapie pour retrouver pied.

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Parlons solutions

C’est pour ça qu’on a besoin d’une porte de confiance à laquelle frapper. Une porte neutre, qui n’orientera pas la discussion dans les intérêts de l’entreprise. Qui pourra poser des questions ouvertes, bienveillantes et qui saura valider si, première étape, les comportements constituent du harcèlement. Les professionnels en ressources humaines doivent jouer ce rôle.

On a ensuite besoin d’une marche à suivre claire pour traiter les plaintes, enquêter et faire cesser les comportements. Il faut également nommer ce qui est du harcèlement et ce qui n’en est pas. Depuis 2018, il est obligatoire par la Loi sur les Normes du Travail pour tous les employeurs de se doter d’une telle politique.

Sachant qu’une portion importante de la population éprouve des difficultés avec le langage de juriste, ainsi qu’en littératie et en numératie, il faut rendre le tout facilement accessible, transposable en actions concrètes, pour plus de compréhension. Donc, ça prend une bonne formation, pour gestionnaires et employés. La procédure n’est pas l’action finale, elle est la recette de l’action.

Il y a du harcèlement, il y a des conflits et il y a des comportements incivils. Il faut faire la distinction entre les trois.

Traiter une plainte pour harcèlement psychologique a été estimé à 15 000$. Et on a juste déterminé si c’était du harcèlement. On a rien réglé encore.

Par contre, encore là, les préjugés ont la vie dure. Lorsqu’on discute de ce type de démarche avec mes clients, tous sont d’accord avec la procédure. La formation pour tous ? Not so much.

«J’ai pas envie d’avoir un tas de plaintes la semaine prochaine !»

Well, si le loup est déjà dans la bergerie…

Mais et le risque de ne rien faire ?

Ubisoft a dû se départir de 3 cadres, 3 atouts qui ont amenés l’entreprise très loin. Et là ? L’entreprise dégringole en Bourse et est boycottée par les influenceurs du milieu.

Voulez-vous qu’on discute de ces artistes à la carrière brisée, aussi ?

Il y a beaucoup d’effets sur la santé physique et psychologiques. J’avais couvert la question de long en large dans cet article de blogue : https://nucleiconseils.com/blogue/les-ravages-du-harcelement-psychologiques.

Vous avez subi ou vous subissez du harcèlement ?

Consultez les politiques internes, votre convention collective, votre syndicat, le manuel de l’employé ou l’intranet. Cherchez la marche à suivre établie par l’organisation ainsi que la personne désignée pour faire l’évaluation de la situation.

Privilégiez toujours la communication. Il faut d’abord rétablir les ponts, si c’est possible.

On peut faire une plainte à la Commission des Normes du travail pour faire cesser le tout. Il faut le faire à compter de 2 ans suivant la dernière manifestation. Pour plus d’informations, voir le lien ici : https://www.cnt.gouv.qc.ca/plaintes-et-recours/plainte-pour-harcelement-psychologique-ou-sexuel/index.html

La clinique Juripop offre des services gratuits et confidentiels pour accompagner les personnes victimes ou témoins de harcèlement psychologique au travail et de violences sexuelles. Cliquez sur le lien ici : https://juripop.org/jai-vecu-du-harcelement-au-travail-ou-des-violences-sexuelles/)

Je vous encourage fortement aussi à aller chercher de l’aide pour votre santé psychologique: votre PAE, les ressources de votre assureur, un psychothérapeute ou un psychologue.

Et mon message final est le suivant :

Témoins, personnes extérieures, gérants d’estrades : prudence ! Ne jugez pas une situation que vous ne comprenez pas. Ça ne fait que conforter les harceleurs dans leur conviction d’avoir raison et ça emmure les victimes dans leur perception d’être dans le tort. Même vous, vous avez un rôle à jouer.

Soyez une partie de la solution, plutôt qu’une partie du problème. Soyez un allié.


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Mon nom est Marie-Eve Champagne, je suis spécialiste en Santé Sécurité Mieux-Être au travail et j'aide les gens à mieux travailler depuis près de 14 ans.