*Cet article a été écrit suite aux deux webinaires donnés ce printemps sur le sujet avec Jimmy Côté et Annick Kwetcheu Gamo de Code F.
« Donne un poisson à un homme et tu le nourriras une journée. Montre-lui à pêcher et tu le nourriras toute sa vie » – proverbe populaire
La prochaine vague sera celle de la détresse financière.
Constamment accotés dans leurs dépenses en ère pré-pandémie, le sondage de 2018 de l’Association Canadienne de la paie indiquait que 44% des Québécois vivaient d’un chèque de paie à l’autre et qu’ils ne pourraient faire face à une soudaine baisse de revenu.
51% des Québécois étaient déjà à 200$ de l'insolvabilité chaque mois (Source : Le Devoir).
En ce moment, 55,5% des ménages ont connu une baisse de revenus d’emploi en raison de la COVID-19 (CIRANO).
Les syndics indiquent déjà que l’automne 2020 se fera sous le signe de la faillite et ce, au moment même où les taux de suicides commencent à monter.
Alors qu’on jouait à l’autruche en se disant qu’une baisse de revenu de ce type ne pouvait arriver, il est maintenant clair que la bonne santé financière sera un atout majeur pour se sortir de la crise au plan individuel.
Plusieurs organisations, bien connectées sur leurs employés, ont commencé à mettre en place des actions afin de soutenir la bonne santé financière de leurs employés.
Mais pourquoi mettre le focus sur la bonne santé financière de nos employés ? Ce n’est pas vraiment notre problème, non ?
En fait, ça l’est. La mauvaise santé financière de vos employés vous coûte cher, comme Annick Kwetcheu Gamo le soulignait :
Les Canadiens passent en moyenne 2 heures par jour à se soucier de leurs finances.
Un employé en mauvaise santé financière est absent de 1,3 à 3 jours de plus par année.
Il vous en coûte déjà 1 000$ par année en productivité perdue.
Si, pour l’instant, les mesures d’aide gouvernementale et un garrot solide sur les dépenses semblent aider, ce sera largement insuffisant en contexte de récession.
Et quand les employés ne vont pas bien, il est utopique, voire dangereux, de croire que le bien-être de l’entreprise ne sera pas affecté : une moins bonne productivité, de la collaboration plus difficile, plus d’erreurs, plus d’absentéisme, plus de présentéisme, plus de roulement, plus d’expertise perdue à rebâtir et j’en passe.
Qu’est-ce qu’un employeur peut faire, alors ?
1. Agir en prévention
En temps normal ainsi qu’en temps de récession, mettre en place des actions soutenant l’intégrité du salaire en cas d’aléas.
Tentez d’éviter les mises à pied complètes, tout en tenant compte de la situation financière de l’entreprise. Avez-vous envisagé le temps partagé ? La prise de vacances ?
Avez-vous pensé à offrir des journées de congé payées de plus ? La possibilité de mettre des heures en banque ? Des heures supplémentaires ? Avez-vous prévu la rémunération en cas de maladie, d’eux-mêmes ou de leurs proches ? En cas de reconfinement ?
Misez sur la formation continue, pour maintenir vos gens au travail malgré une baisse des activités et pour ressortir de la crise plus forts et plus efficaces, individuellement et collectivement. Il faut savoir que la moitié de la population active canadienne et québécoise n’a pas les compétences nécessaires en lecture, écriture et calcul pour pouvoir bien fonctionner au quotidien et dans son emploi. Cela entraîne des impacts socio-économique majeurs pour les individus, les entreprises et la société.
En clair, on traîne de la patte au niveau national car le niveau de formation continue et de compétences des gens n’est pas ce qu’il devrait être.
Et cela n’aide pas la gestion des finances personnelles.
«Il y a une forte corrélation entre le faible niveau de compétence et l’enrichissement global. Moins on a de compétences en littératie, plus on est en situation de pauvreté, moins on est productif en entreprise et c’est individuellement et collectivement qu’on en paie le prix » (Source: l’excellent reportage Tout le monde y gagne)
Alors oui, en ce sens, le PACME était une initiative remarquable et une opportunité à saisir. Mais, avec ou sans PACME, miser sur le développement des compétences de vos gens soutiendra leur santé financière ainsi que celle de l’organisation.
Faites l’inventaire de ce que vous avez déjà, en termes d’avantages sociaux et de ressources, programme d’aide aux employés, ligne d’urgence, etc. Ensuite, maximisez, optimisez et communiquez. Le moment est également bon pour s’interroger sur ce qui est offert à nos employés et de quelles façons peut-on bonifier le tout pour l’avenir.
Jimmy Côté indiquait que les avantages sociaux représentent un des éléments centraux sur lesquels peut reposer l’ensemble de votre stratégie de mieux-être. En matière de santé financière, la révision de votre offre globale constitue une excellente occasion pour vous distinguer de vos compétiteurs talents et exprimer à vos employés, par des gestes concrets, quelles sont réellement les valeurs qui animent votre entreprise.
Pensez conciliation travail-famille: la vérité, c’est qu’en l’absence de flexibilité, ce sont les femmes qui en paient majoritairement le prix. Partout, ce sont les femmes, les mères qui réduisent leurs heures de travail, leurs activités, parfois même en quittant leur emploi, faute d’option de gardiennage.
Étant plus souvent qu’à leur tour le petit salaire du ménage, les gens ne balancent pas longtemps qu’à savoir qui va manquer une journée de travail. Durant le mois d’avril 2020, les femmes ont été plus nombreuses à être mises à pied (23,9% contre 20,5% des répondants masculins à l’étude du CIRANO ici). Et ce sont elles qui ont vu leurs heures de travail baisser le plus (-29,5% d’heures contre -26,7% d’heures pour les hommes) en avril 2020.
Petite réflexion : avez-vous assumé d’emblée que ce seraient les conjoints(es) de vos employés masculins qui sacrifieraient leur carrière et leurs revenus pour que ses derniers continuent d’offrir leur prestation de travail habituelle ?
Ou avez-vous déjà ouvert la discussion sur ce que seraient les besoins du ménage, pas seulement les besoins des mères ?
Soutenez le télétravail (et le porte-feuille) : employeurs, vous êtes responsables du milieu de travail de vos employés… jusqu’en télétravail. Offrez des options ergonomiques pour le télétravail ainsi que de la formation. Prêtez les équipements du bureau ou allouez un budget pour que vos employés puissent s’équiper.
Et alors que des employeurs du monde entier annoncent désormais que le télétravail sera une façon de travailler permanente, les employés souhaitant en bénéficier devront prévoir de l’espace supplémentaire dans leur milieu de vie et l’équiper en conséquence. Ces coûts sont estimés allant de 5 871$ à 16,285$ (article de The Conversation ici)
Piste de réflexion : avant la crise, est-ce que vos salaires étaient acceptables, équitables et au marché ? Just saying…
2. Agir en urgence
En ce moment, les employés doivent également être soutenus pour élaborer un plan d’urgence pour leurs finances personnelles.
Vous avez protégé le salaire de vos employés pendant la crise ? C’est super !
…Est-ce que l’employeur des conjoints(es) de vos employés en ont fait autant ?
Si non, il faudra apprendre à faire plus avec moins et opter pour un plan d’urgence de réduction intelligente des dépenses.
Prenez un temps de réflexion et voyez déjà ce que vous pourriez offrir à vos employés au bord du précipice.
Les entreprises dont les employés ont des revenus variables ou des activités saisonnières ont déjà des éléments en place afin de parer aux moments creux de l’année.
Sachez d’abord ceci : 46% des Canadiens disent ressentir de la gêne ou de la honte à demander du soutien si leur situation financière se dégradait.
Donc, il faudra tenir compte que peu viendront vous demander un soutien directement.
Il y a plusieurs possibilités de mesures d’urgence (qui doivent être annoncées comme telles) :
Avances de paie
Salaire mis en banque préalablement prélevé sur les bonnes paies de l’année
Prêts d’argent
Suspension des cotisations
Demande d’exonérations de prime
Retrait de sommes des régimes de retraite
Mise en garde !
Consultez un avocat afin de mettre les bonnes balises en place.
Procédez par écrit, tant au niveau des ententes que des conversations.
Soyez très prudents et ultra-transparents sur les conséquences (effets sur les programmes gouvernementaux, réduction des sommes dans les régimes, etc.)
Faites la cartographie des sommes payables et/ou dues dans les mois à venir afin de vous y retrouver.
Soulignez le côté urgent et temporaire de la chose : vos employés ne doivent pas prévoir leurs dépenses en fonction des avances de paies obtenues.
3. Agir en formation
Vous former vous-même et former vos employés en littératie financière spécifiquement, afin de trouver les bonnes ressources et les bonnes informations pour aider à voir clair et faire de meilleurs choix financiers.
Cette action vaut en temps normal mais maintenant aussi. Nous avons vu que la littératie financière des Québécois et Canadiens est dans un piteux état en général, a des effets sur l’enrichissement global et doit être améliorée.
Or, l’Agence de la consommation en matière financière du Canada mentionne que 84% des employés aimeraient participer à des programmes d’éducation financière en milieu de travail.
En temps normal et en temps de crise, les professionnels RH doivent élever leur jeu d’un cran et s’éduquer en la matière. On ne parle pas de vendre des placements ou de conseiller sur l’achat d’une assurance vie permanente ou temporaire.
On parle d’inciter un employé à clarifier la question de sa succession et de ses bénéficiaires dès l’embauche. On parle d’expliquer clairement le talon de paie et les déductions prélevées. On parle de donner de l’information pertinente et claire sur le régime de retraite en place. On parle de s’asseoir et discuter avec un employé qui fait constamment des heures supplémentaires pour arriver dans son budget pour le sensibiliser aux pistes de solutions possibles à sa portée.
Car si vous-mêmes, vous ne vous y retrouvez pas, qui va les aider à voir clair dans leur rémunération globale ? C’est notre rôle de professionnel RH de les supporter, et maintenant plus que jamais.
Paie, avantages sociaux, conditions de travail, connaissance des programmes gouvernementaux, accès à la haute direction, capacité d’influence, maîtrise des indicateurs SST et RH : vous détenez la clé pour les aider !
Intervenir avec un employé en détresse
Gardez en tête deux choses :
Vous ne pouvez vous immiscer dans sa vie privée à moins qu’il ne vous y invite
C’est lui qui prend les décisions
Par contre, vous pouvez l’aider à trouver les ressources convenant à sa situation et vous pouvez soutenir son plan d’action.
À quoi ça ressemble un employé en détresse financière ?
Plusieurs signes peuvent vous pister que c’est le moment d’ouvrir une discussion :
Signes de fatigue et apparence négligée
Problèmes de sommeil, de mémoire, de concentration, de performance
Relations interpersonnelles qui deviennent difficiles (conflits, isolement, etc.)
Les erreurs de paie suscitent des réactions émotives très vives
Appels fréquents, pressants et/ou plus ou moins «subtils» , durant les heures de travail, au conseiller financier, à la banque, au(à la) conjoint(e)
Plus d’absences, de retards ou de départs pour des rendez-vous «urgents»
Demandes d’avances de paie et/ou d’augmentation de salaire
Des ordonnances de saisies de salaire
Demande de prêt d’argent auprès de ses collègues ou de membres de la direction
Une certaine «urgence» à faire des heures supplémentaires
L’employé mentionne que « son médecin veut l’arrêter mais qu’il ne veut pas » (ce n’est pas un signe positif de mobilisation: c’est un problème plus profond)
L’employé verbalise des problèmes d’argent et/ou de créances
Cas de figure extrême : des huissiers qui se présentent au travail
On commence par où ?
Nous vous présentons un plan d’action en 8 étapes afin d’intervenir de façon efficace et bienveillante :
Étape 0- Valider les ressources possibles à votre portée (assurances collectives, PAE, télé-médecine, services pouvant être offerts à l’interne, etc.) et les limites à l’interne.
Étape 1- Rencontrer l’employé (par une personne avec qui il est en confiance)
Étape 2- Selon ce qu’il nous dit, valider le besoin d’aide et le type de support dont il a besoin
Étape 3- Référer l’employé à une ressource pertinente en qui il a confiance, sans pression
Attention : Annick souligne qu’il est préférable que le sgens s’orientent vers les ressources professionnelles plutôt que vers les prêts d’urgence (il importe de viser l’amélioration durable).
Également, maintenez une attitude ouverte et empathique, en tout temps.
C’est l’employé qui détient sa solution, pas vous.
Étape 6- Soutenez le plan d’action de l’employé. Il veut mettre des sommes en banque ? Convenez de prélèvements sur la paie, si possible.
Étape 7- S’il est à l’aise, faites des suivis avec l’employé par la suite.
Différentes ressources additionnelles :
Chambre des notaires (lien ici)
Chambre de la sécurité financière (lien ici)
Chambre de l’Assurance de dommages (lien ici)
Institut Québécois de planification financière (lien ici)
Autorité des marchés financiers (lien ici)
Agence de consommation en matière financière du Canada (lien ici)
Office de protection des consommateurs (lien ici)
Services Canada (lien ici)
Gouvernement du Québec (lien ici)
Éducaloi (lien ici)
EN Conclusion
En somme, plusieurs actions sont possibles. Vous pouvez prendre des actions en amont. Vous pouvez avoir des procédures d’urgence et des ressources d’urgence sous la main pour vos employés en détresse. Vous pouvez vous former vous-même et vos employés afin d’améliorer la bonne santé financière de ces derniers et, conséquemment, celle de l’organisation.
Et vous pouvez soutenir leur plan d’action.
Vous êtes mal à l’aise d’ouvrir la discussion avec vos employés, principalement parce que vous êtes la personne qui a procédé aux mises à pied ? Je vous ramène à la réflexion de la communication, de la transparence et de la marque employeur.
Leur avez-vous expliqué ? Comprennent-ils les raisons de cette mise à pied ? Ou sentent-ils que vous avez simplement protégé les dividendes de fin d’année… ?
« Votre gestion de crise, votre marque employeur », disait Vincent Mazrou.
Et vos employés s’en souviendront bien après la crise !
Mon nom est Marie-Eve Champagne, je suis spécialiste en Santé Sécurité Mieux-Être au travail et j'aide les gens à mieux travailler depuis plus de 14 ans.
Mme Annick Kwetcheu Gamo est Fondatrice de Code F. (https://codef.ca/), une entreprise qui a pour vocation sociale de démocratiser les finances personnelles afin que toute personne puisse avoir accès à l’information qui lui est nécessaire afin de faire des choix financiers éclairés. Annick travaille également à sensibiliser les employeurs au stress financier de l’employé, son impact sur les organisations et l’importance de le prendre en charge.
En plus d’avoir cumulé plus de 6 ans dans le domaine des services financiers, Annick est aussi titulaire d’un M.sc en Management de Grenoble École de Management (France) et d’un MBA en Gestion Internationale de l’Université Laval (Québec), Annick est aussi certifiée ALMI (Associate Life Management Institute) de Loma Québec et a complété les cours Fonds d’investissement au Canada et Commerce des valeurs mobilières au Canada de Canadian Securities Institute.
M. Jimmy Côté, CRHA et CAAS, est conseiller en avantages sociaux et rentes collectives depuis plus de 11 ans chez Dale Lussier Parizeau. Il aide les PME à mettre en place une offre d’avantages sociaux alignée sur leur stratégie de rémunération globale, aux conditions financières les plus avantageuses du marché à court et à long terme. Connectez-vous à lui par LinkedIn.
Références et pour en savoir davantage :
Reportage ‘‘Tout le monde y gagne’’: https://ici.tou.tv/tout-le-monde-y-gagne/S01E01?lectureauto=1
VENNE, Jean-François,’’ Durement touchée par la pandémie, les starts-up féminines s’accrochent’’, Les Affaires, 15 juin 2020, https://www.lesaffaires.com/dossier/defi-start-up/durement-touchees-par-la-pandemie-les-start-ups-feminines-saccrochent/618253
Rédaction, ‘‘Les baisses de salaire affectent la santé mentale’’, Avantages, 2 juin 2020, https://www.avantages.ca/sante/sante-mentale/les-baisses-de-salaire-affectent-la-sante-mentale/
ACHOU, B., BOISCLAIR, D., D’ASTOUS, P., FONSECA, R., GLENZER, F., MICHAUD, P-C, ‘‘ Effets de la pandémie sur les finances personnelles : Un premier coup d’œil’’, CIRANO, 30 mai 2020, https://www.ledevoir.com/documents/pdf/2020-05-30-Cirano_pandemie.pdf?fbclid=IwAR3mPsKa8DY6dgb4JbKk2BFXMMC6mmpduMcnnZJKch3Thht84q4u2tNY26Y
GRILL, Emmanuelle, ‘‘Endettement: la faillite est-elle évitable?’’, Protégez-vous, 3 juin 2020, https://www.protegez-vous.ca/blogue/blogueur-invite/endettement-la-faillite-est-elle-inevitable?fbclid=IwAR00WQ8GfLz33rvSco7oe592U5f6WrjcDAEWoYgS-By-Zvmz1sOkGH9UwkQ
SONDAGE DE RECHERCHE DE L’ASSOCIATION CANADIENNE DE LA PAIE AUPRÈS DES EMPLOYÉS DE 2018: https://paie.ca/FRPDF/SNP/2018/Survey/2017-CPA-285493-NPW-Infographic-National_8-5x11-FR.aspx?_ga=2.172195755.967529991.1592314512-662053930.1592314512
DESROSIERS, Éric, ‘‘Plus de la moitié des Québécois à moins de 200$ de l’insolvabilité’’, Le Devoir, 24 avril 2019, https://www.ledevoir.com/economie/552812/plus-de-la-moitie-des-quebecois-a-moins-de-200-de-l-insolvabilite
Rédaction, ‘‘Les Canadiens stressent pour leurs finances’’, 14 janvier 2020, Avantages, https://www.conseiller.ca/nouvelles/economie/les-canadiens-stressent-pour-leurs-finances/