Une noyade, ça ne fait pas toujours du bruit

Alors que la rentrée est passée, on se dirige doucement vers les jours les plus courts de l'année, là où manque de luminosité rime avec morosité.


L'effet ''vacances'' va s'estomper un peu et la routine occupée reprend ses droits.

Pourquoi ton titre parle de noyade, Marie, si tu jases de l'automne?

J'y viens. J'ai une histoire.

Il y a quelques années, mon conjoint participait à un party piscine. Du soleil, de l'alcool, de la musique, une grande piscine, des enfants qui jouent autour des adultes. Le party classique, quoi. Bref, on avait tout pour être heureux.

(Musique de Jaws qui part enbackground. Tudum. TudUUMM.)

Mon conjoint se trouvait dans la piscine, à discuter avec une amie. Les enfants de la dite amie font des jeux et éclaboussent autour d'eux. Ils sont seuls dans la piscine. Au bout d'un moment, une autre amie arrive sur le deck et demande avec un air confus: ''Qui a mis la poupée dans l'eau?''

Mon conjoint se retourne: ce n'est pas une poupée, mais bien une enfant qui flotte, le visage touchant à peine la surface. Extraction turbo-rapide de la fillette qui avait déjà pris une affreuse teinte cireuse : elle crache l'eau et respire. Elle a été vue par des ambulanciers, mais je vous rassure: aucune séquelle.

Comment c'est arrivé?

On a laissé la porte d'accès ouverte, la fillette s'est approchée de l'eau et y est tombée. Son splash a été couvert par celui des autres enfants. Bien entendu, quelques années plus tard, mon conjoint n'est toujours pas zen avec cette histoire. Papa poule de 3 enfants, hypervigilant en tout temps et bien au fait des règles de sécurité auprès de l'eau, il s'en veut encore de ne l'avoir ni vue, ni entendue.

La morale
On croit à tort que quelqu'un qui se noie, c'est bruyant. Que ça éclabousse et que ça crie à l'aide. Qu'on l'entendra si il y a quelque chose. Malheureusement, non. Pas toujours. On coule à pic, sans bruit.

C'est la même chose avec la santé psychologique: on pense que le mal-être sera bruyant, évident. Qu'on verra. Qu'on entendra.

Quelqu'un qui ne va pas bien, ça ne rugit pas toujours comme un lion. Ça ne crie pas toujours sa détresse comme une corneille volubile sur un toit.

Des fois, c'est un murmure de souris tout discret, avant de s'enfoncer plus creux. Comme une noyade.

La bouée, à ce moment-là, c'est le soutien social.

Ce qu'est le soutien social

Savoir qu'on peut compter sur son équipe, son réseau, ses proches, son gestionnaire même, c'est précieux. Le sentiment d’avoir un réseau de soutien, des ressources et de l’aide à portée de main diminue le stress perçu en lien avec une situation donnée.

Notons que quand on parle de soutien social au travail, on fait référence à la qualité des relations entretenues au travail, autant avec les collègues qu’avec le superviseur, ainsi qu’à la confiance qui prévaut sur le milieu de travail (Nowak, 2011).

Et quand les collègues ou le gestionnaire sont capables de reconnaitre et agir quand quelqu'un s'enfonce, ça aussi, c'est précieux.


La leçon pour une organisation?
La santé individuelle passe (aussi) par la santé des équipes. Une équipe bienveillante, où on se supporte, on se parle des vraies choses, on règle les conflits, on se soutient au besoin, ça fait toute la différence.

Le soutien social agira comme une bouée: c'est un facteur de protection, qui nous aide à nous maintenir à flots. Mais c'est aussi un ''safety device'', qui nous empêchera de couler à pic, quand on s'enfonce.

Créer une bouée, équipe par équipe
Quelques pistes d'actions:

  • Créez des occasions de connecter, un à un niveau plus personnel, pour créer des liens et mieux se connaitre;

  • Donnez des espaces d'échanges et de collaboration;

  • Soignez la communication et la rétroaction;

  • Soyez diligent sur le règlement des différends et des conflits, pour prévenir le harcèlement psychologique et maintenir la santé de l'équipe;

  • Donnez des ressources accessibles et connues de tous, pour qu'on puisse se parler des bons moyens d'actions au bon moment, si besoin;

  • Outillez les collègues et les gestionnaires à reconnaitre et à composer avec la souffrance.

Je vous laisse aussi la Fiche de travail pour Comité SSME - Soutien social, pour en savoir plus.

Il est important de souligner que si on connait mieux ses collègues, on sera capable d'entendre même si c'est un petit murmure de souris.

On se dirige vers l'automne: typiquement, au Québec, le moral de plusieurs descend plus bas. L’indice de santé mentale LifeWorks de Juillet 2022 précisait que32 %des Canadiens présentent toujours unrisque élevé de problème de santé mentale, alors que44 %présentent unrisque modéréet que25 %ont un faible risque de souffrir d’une maladie mentale.

Serez-vous en mesure de lancer la bouée au bon moment?

Mon nom est Marie-Eve Champagne, je suis spécialiste en Santé Sécurité Mieux-Être au travail et j'aide les gens à mieux travailler depuis près de 15 ans.